Interview avec Fabrice Pesin, Médiateur National du Crédit

Interview avec Fabrice Pesin, Médiateur National du Crédit

Vous avez développé un guide pratique « L’assurance-crédit pour tous » il y a un peu plus d’un an, qu’est ce qui a motivé sa publication et à qui est-il destiné ?

L’assurance-crédit est une solution qui n’est pas toujours bien connue dans les entreprises. Si les plus grandes structures ont les moyens et l’organisation interne pour maîtriser cet outil, ce n’est pas le cas des PME. Le réflexe assurance-crédit est alors loin d’être évident chez des dirigeants qui bien souvent en ont une expérience douloureuse liée à une dégradation de leur note, laquelle peut avoir des répercussions directes sur leur trésorerie. En dialoguant avec les fédérations professionnelles, en particulier dans l’industrie et le bâtiment mais aussi les assureurs, nous avons identifié un besoin de pédagogie sur les concepts et mécanismes de base de cet outil. Le guide « L’assurance-crédit pour tous » a donc été conçu pour fournir une information simple et pratique à un public élargi. En effet, toutes les entreprises sont concernées, qu’elles soient ou non assurées crédit dans la mesure où leur solvabilité est évaluée par les acteurs du marché.

Êtes-vous régulièrement saisis par des entreprises sur des sujets liés à l’assurance-crédit ? Quelle proportion ces demandes représentent-elles par rapport aux saisies sur les crédits bancaires ?

Aujourd’hui la notoriété de la Médiation du crédit repose essentiellement sur les sujets de crédit bancaire. Toutefois, l’objectif pour la Médiation du guide évoqué précédemment est aussi d’être identifiée comme interlocuteur privilégié sur des dossiers concernant l’assurance-crédit. Malgré tout, les demandes directement liées à l’assurance-crédit représentent à ce jour moins de 5% des dossiers que nous traitons. Elles concernent majoritairement des entreprises qui ont été décotées et qui l’apprennent souvent indirectement par un de leurs fournisseurs.

Nous intervenons également dans des dossiers qui mixent à la fois des problématiques de crédit bancaire et d’assurance-crédit. Dans ce cas, la dégradation de la situation financière de l’entreprise est le phénomène déclencheur. L’entreprise envoie alors des signaux inquiétants qui sont perçus à la fois par les assureurs et les établissements de crédit de manière assez concomitante. Ces dossiers sont assez délicats à gérer car il faut prendre en charge une double problématique. Notre rôle consiste alors à mettre tous les acteurs autour d’une table pour mutualiser les informations disponibles, partager un diagnostic et convaincre les différents partenaires que l’entreprise a une capacité de rebond. L’objectif est de donner de la visibilité pour accompagner au mieux l’évolution de l’entreprise et lui permettre d’obtenir des rééchelonnements de dette, voire du côté des assureurs-crédit la réouverture de lignes de garantie pour leurs fournisseurs essentiels.

Quelle est votre vision sur le rôle du courtier dans le domaine de l’assurance-crédit ?

Les courtiers sont des professionnels compétents qui interviennent auprès de leurs clients pour optimiser les solutions, maîtriser les coûts, négocier les garanties,  et gérer les sinistres. Ils permettent des gains de temps et d’argent non négligeables pour des dirigeants d’entreprise qui n’ont pas forcément l’expertise et l’organisation interne pour traiter au mieux des sujets d’assurance-crédit. Les courtiers sont également d’excellents observateurs du marché, capables à ce titre de défendre au quotidien les intérêts de leurs clients auprès des assureurs.

En France, les délais de paiement et le niveau des défaillances connaissent globalement une embellie. Dans un tel contexte se pose, indirectement, la question du retour sur investissement de l’assurance-crédit. Quelle est votre analyse de la situation ?

Les défaillances sont en baisse mais elles restent encore nombreuses par rapport aux moyennes historiques. Les délais de paiement s’améliorent même si la situation n’est pas encore extraordinaire. Certaines études pointent notamment un accroissement des retards de paiement qui se situent encore autour de 11 jours en moyenne. On est encore loin des performances de nos voisins d’Europe du nord notamment. Il y a donc bien une persistance du risque de non-paiement. Nous ne sommes pas non plus à l’abri d’un retournement économique et certains secteurs sont plus fragiles que d’autres.

Au-delà de ces tendances, il y a un vrai défi à relever pour les assureurs en termes d’adaptation de leurs produits aux attentes du marché. Si l’on considère le nombre d’entreprises aujourd’hui qui fonctionnent sans être assurées-crédit, il y a celles qui le font en connaissance de cause et assument le risque et celles qui n’ont tout simplement pas connaissance de cet outil, qui pensent que ce n’est pas dans leurs moyens, qu’il y a un problème d’accès et d’agilité. Autant de freins qui font que le produit n’est pas considéré comme attractif et empêchent une plus large diffusion. Cette conjoncture économique impose des challenges nouveaux pour les acteurs du marché de l’assurance-crédit. C’est peut-être l’occasion de réfléchir aux moyens de distribuer selon d’autres modèles plus proches de ceux utilisés par les Fintech.

Comment envisagez-vous l’impact des évolutions législatives sur la publication des résultats financiers des entreprises, notamment concernant l’assurance-crédit ?

Les évolutions législatives ont des conséquences sur la transparence en termes de résultats financiers, mais leur impact sera probablement temporisé par le développement du big data et la multiplication des sources de données utilisées pour l’analyse crédit. L’enjeu n’est pas tant la disponibilité de l’information mais d’avantage la capacité à intégrer, analyser et restituer une masse de données provenant de sources hétérogènes. Bien entendu, les banques de même que les assureurs crédit restent en position de force sur ce terrain. De par leurs capacités d’investissement et leur connaissance métier, ils seront capables de fournir des évaluations fiables et à jour sur la solvabilité des entreprises permettant à leurs clients de sécuriser leurs avoirs.

Toutefois, on observe l’émergence de nouveaux acteurs aux Etats-Unis ou en Asie, qui pourraient bien venir changer la donne d’ici quelques temps en France sur le marché de l’information. Construits sur des modèles agiles, ils font de l’analyse crédit à moindre coûts sur la base d’algorithmes innovants, intégrant des données extrêmement diverses et parfois inédites comme la fréquence des mises à jour des sites internet pour évaluer la pérennité d’une société. Il est tout à fait envisageable que ces nouveaux produits soient utilisés en complément des scorings internes mis en place par les entreprises pour évaluer la solvabilité de leurs clients.

L’accompagnement des entreprises françaises à l’export fait partie de vos préoccupations, notamment en termes de financement, mais l’assurance-crédit n’est-elle pas également un incontournable sur ce sujet ?

Le financement à l’export est un de nos chantiers majeurs pour l’année à venir. Il est à comprendre au sens large et concernera bien entendu l’assurance-crédit. Les réflexions seront menées dans le cadre de l’Observatoire du financement des entreprises, qui réunit à la fois les représentants des entreprises (Medef, CPME, les réseaux consulaires…) et les acteurs du monde financier dont les établissements de crédit, et les assureurs Euler Hermes et Coface. Dans le cadre des discussions seront abordées tant les garanties publiques proposées par Bpifrance que les produits d’assurance-crédit classiques. Le sujet sera abordé prioritairement sous l’angle des PME, qui sont en retard par rapport à nos voisins allemands car moins bien armées et pas forcément au fait de tous les outils à leur disposition pour financer ou sécuriser leurs opérations à l’export. Dans un premier temps, il y a beaucoup de pédagogie à déployer mais il faut aussi s’assurer qu’il n’y a pas de « trous dans la raquette » en termes de dispositifs et que tous les outils existants sont assez simples et pratiques pour être utilisés efficacement. A l’heure de la transformation digitale, il sera peut-être aussi question de développer de nouveaux outils. L’objectif est également d’envisager quels seraient les moyens permettant aux PME de ne pas faire que des opérations « one shot » mais de considérer l’export de manière pérenne. Notre diagnostic sur le financement à l’export sera intégré dans les discussions de la future loi annoncée par le ministre de l’économie et prévue pour le printemps 2018. Il fera l’objet d’un rapport dans lequel nous ajouterons des recommandations à destination des pouvoirs publics et des acteurs concernés.

Comment pensez-vous que la transformation digitale, déjà en marche dans le secteur financier, impactera les acteurs de l’assurance-crédit ?

Les fintech ont déjà largement contribué à la transformation du secteur financier, que ce soit en matière d’affacturage, dans le domaine des moyens de paiement ou des services bancaires. Elles sont capables de proposer de nouveaux produits, avec une souplesse de tarification et des modes de distribution qui sont particulièrement disruptifs comparés aux acteurs traditionnels. Il est plus que probable que le même phénomène émerge rapidement sur le marché de l’assurance-crédit. Est-ce que les offres innovantes viendront des assureurs eux-même ou de nouveaux intervenants comme des fintech, des assurtech, seul l’avenir le dira. Quoiqu’il en soit, les contraintes réglementaires qui ont longtemps représentées une barrière à l’entrée pour de nouveaux entrants ne sont plus perçues aujourd’hui comme des points insurmontables, notamment du fait des évolutions technologiques. Le constat est clair dans le milieu bancaire : si les acteurs traditionnels gardent des positions dominantes, ils sont de plus en plus challengés par des modèles alternatifs. Rien n’empêche donc d’imaginer qu’il en sera de même pour l’assurance-crédit.

 

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